ARCHITECTE dplg
ensa paris la villette
architectural association – london
UNE APPROCHE SENSIBLE, HOLISTIQUE ET ADAPTÉE
En premier, une déambulation et une observation des alentours du site du tout nouveau bâtiment ou de la réhabilitation à venir. Cette circulation désintéressée vise à collecter librement des informations appartenant à des registres très différents – historiques, sociologiques, urbanistiques, architecturaux, de la vie quotidienne… – mais représentant tous des éléments nécessaires à la conception que Farid Azib va se faire, au sens large, de « l’esprit des lieux » et de ses résonances physiques et poétiques. Une quête à l’aune d’un programme élaboré par les commanditaires dont il garde en mémoire les grandes lignes, sans volontairement en approfondir les détails, afin de ne pas réduire et étriquer, à ce stade, l’esquisse de l’ouvrage sous la coupe d’impératifs strictement fonctionnels…
QUAND LE SITE INCITE À L’HARMONIE
Architecte-promeneur et réceptif, Farid Azib prend ainsi le pouls des paysages et des perspectives, se laisse interpeller par le caractère des reliefs, dans une approche sensible, ouverte, sans objectifs ni intentions préétablis. Il cite souvent cette phrase, tirée des carnets de Léonard de Vinci, pour parler de sa démarche :
« on trouve la proportion non seulement dans les mesures et les nombres, mais encore dans les sons, les poids, les temps, les lieux et en toute forme d’énergie. »
Peu à peu, grâce à la captation de ces signes, apparaissent les paradoxes et les logiques du site, ses contradictions et ses nécessités – de niveaux, de circulations, d’orientations… –, autant qu’une histoire qui se construit, tel un cadavre exquis qui bientôt va proposer un sens général à l’offre architecturale, une vision globale en accord avec son milieu. Un travail d’objectivation et de formalisation voit ainsi le jour, issu de cette palette d’impressions et d’informations, de vérités provisoires assumées, ancrées dans l’idée du patrimoine, la réalité des aménagements, la nature de la région et les émotions de la visite. Ce sondage préliminaire se complète ensuite par une recherche documentaire, plus approfondie et désormais orientée. Elle vient contredire ou conforter et nourrir les premières inspirations. Une sorte de « non savoir-faire », dans le sens ou Farid Azib opère par intuition in situ et in vivo, sans concept préconçu, sans recette exportée, sans formule toute faite qui assujettit, dénature et désindividualise le projet.
« l’architecture apparaît toujours dans un contexte, elle représente une histoire respectueuse de tous les environnements, qui ne doit pas être imposée, sans aucun scénario écrit à l’avance si ce n’est que l’homme est au centre. »
VIVRE-ENSEMBLE ET FONCTIONNALITÉS
Farid Azib plonge ainsi en toute subjectivité dans une géographie, une histoire régionale, une sociologie, un assortiment de matières, un nuancier de couleurs, s’imprègne du site qui l’incite à certaines configurations, en lui racontant une histoire particulière. Mais ce ne sont pas les prérogatives et les devoirs pragmatiques de sa profession, ni la poursuite d’une ambition créative personnelle qui le motivent. C’est avant tout en tant que citoyen et usager, conscient de la nécessité du vivre ensemble et de l’indispensable reconstruction de nouvelles sociabilités qu’il s’engage à travers cette mise en situation systématique, cette méthode aléatoire assumée. En responsabilité du bien-être, de l’intérêt collectif et d’une communauté de destins. Sur la base de ce dispositif initial, au fil de l’élaboration du projet, les contingences et les multiples fonctionnalités nécessaires au bâti dialoguent, s’articulent et s’intègrent naturellement.
Les surfaces s’individualisent dans un tout, se structurent, s’organisent en séquences, en seuils, par étapes, en respectant les activités futures, la liberté des regards traversants, et les différents états que les visiteurs sont susceptibles de connaître – avec, toujours, la volonté de leur procurer un sentiment de plaisir et de jubilation. Dans ce cadre, une attention toute particulière est portée aux sources de lumières naturelles.
De même, la maîtrise du détail représente une exigence structurante, l’équilibre se trouvant dans les relations entre les grandes et les petites échelles. Ici, décisif, intervient le principe des différents niveaux, qui s’édifient selon les impératifs de circulation et de mouvement des usagers. La valorisation des fonctionnalités des volumes est tout aussi importante, chaque espace en interrelation avec les autres a une valeur identique et contribue à l’ensemble. Autre point remarquable qui caractérise les conceptions de Farid Azib : son attachement à l’artisanat et au fait-main, qui l’amène, dans ses travaux respectifs, à instaurer des dialogues fructueux tant avec les ingénieurs ou les chercheurs qu’avec les artisans, les maçons, les menuisiers… Dans le sillage de cette préoccupation s’en suit l’exigence de la qualité des matériaux et une prédilection pour les ressources locales, biosourcées.
une conception humaniste et holistique, pour une architecture candide et savante, brute et subtile, élémentaire et complexe, archaïque et moderne, toujours élégante, personelle et adaptée à la fois, orientée vers le bien-être de l’utilisateur et une possible cohabitation harmonieuse entre individus. une architecture qui reprend à son compte les mots de frank lloyd wright: « je déclare que l’heure est venue pour elle de reconaître sa propre nature, de comprendre qu’elle dérive de la vie. »
BIOGRAPHIE
des montagnes de kabylie à l’école d’architecture
D’origine algérienne, Farid Azib est né en 1970 à Tapount, un village enclavé des montagnes de la Petite Kabylie. En hiver les conditions climatiques sont très rudes dans la région. Il a grandi entre les murs de l’unique pièce à différents niveaux d’un Axxam, une modeste maison traditionnelle berbère en pierre taillées, à la lisière de l’immense forêt d’Akfadou, un des plus importants massifs sylvestres d’Afrique du Nord. En hiver les conditions climatiques sont très rudes dans la région, avec des vents froids qui soufflent en rafale, des neiges et des pluies abondantes. La plupart des hommes du village partent depuis plusieurs générations en France, pour subvenir aux besoins des familles. Farid Azib se souvient : « … mon grand-père s’est installé à Paris dans les années 30, puis il fut mobilisé et interné en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, mon père quant à lui a émigré dès l’âge de 13 ans pour travailler au sein d’une usine grenobloise ». Aîné d’une fratrie entourée par l’amour profond et structurant de sa mère et de sa grand-mère, Farid Azib grandit ainsi en vase clos dans un milieu traditionnel, fait principalement de femmes et des enfants.
Loin de la modernité et de ses objets manufacturés, les conditions de vie de cette enfance heureuse et insouciante, proche de la nature, sont sommaires. Ni eau ni électricité – le chauffage est assuré par le foyer principal (le kanoun creusé dans le sol et situé non loin de la porte d’entrée), et grâce aux animaux domestiques qui vivent dans le même espace sous une mezzanine. Scolarisé à six ans, chaque jour Farid parcourt à pied, « accompagné de ma grand-mère qui encourage mes études, les pentes d’une quinzaine de kilomètres pour rejoindre mon école ». Il s’y trouve bon élève. Son premier « souvenir d’architecture » date de cette période, quand son père décide, lors de son unique visite annuelle, de construire une extension : sous ses yeux, sur le sol en terre battue, se dessine le plan de base, de la pointe d’un bâton. Une énigme se pose alors pour lui : que représentent ces traits ? Quelles relations entretiennent-ils avec ce qu’il connaît d’une maison ? Dès lors, du haut de ses sept ans et avec une compréhension déjà développée des volumes, il suit à sa manière, dans le détail et avec un grand sentiment de responsabilité, les différentes étapes du chantier, qui se déroule sur près de trois ans…
Depuis longtemps son père a le projet de faire venir sa famille en Hexagone, ce qui devient réalisable quelques années plus tard grâce à la politique de regroupement familial. Le jeune Farid Azib, âgé de dix ans, apprend alors son départ imminent pour Paris, où l’attend un appartement du quartier de Stalingrad, sis au-dessus du café tenu par son père. En quelques jours, son existence est bouleversée. Avec son jeune frère ils sont loin de maîtriser la langue française, et le directeur de sa nouvelle école s’exclame devant eux, au terme des premiers tests d’évaluation : « Mais qu’allons-nous faire de ces enfants ? » Farid Azib rétrograde de niveau, s’acharne, rencontre des instituteurs qui le soutiennent, et rattrape son retard jusqu’à décrocher son bac.
Entre-temps une rencontre importante lui ouvre les portes d’un nouvel univers socio-culturel : « En fréquentant le fils de Daniel Mesguich, l’homme de théâtre, je découvre un monde jusque-là inconnu, un monde qui m’attire : celui des livres, des grands auteurs et du spectacle. Je découvre surtout une chose nouvelle : la possibilité de s’émanciper individuellement, en dehors du groupe et de la famille. Construire sa propre identité à travers la création devient possible. ». Arrivé en BTS de gestion, il s’ennuie, ne se reconnaît pas dans cette branche. Perspicace, un de ses professeurs lui suggère alors de changer de voie : « Mais qu’est-ce que tu aimerais faire ? » La réponse est immédiate, à la fois déterminée, spontanée et irréfléchie, sans véritable raison ni idée préconçue : « De l’architecture ! » Comme une sorte d’évidence impossible, dont la nature le questionne encore aujourd’hui.
PARCOURS
formations et parcours professionnel
Farid Azib intègre l’école de Paris-La Villette : il doit tout apprendre. Et c’est dans une ambiance pédagogique expérimentale, non-académique et généraliste qu’il découvre l’évidence de sa vocation. Lui qui a toujours pratiqué le dessin de manière autodidacte avec une appréhension innée des volumes – on remarque une prédilection, dans ses jeunes années, pour les stades de football ! – s’épanouit désormais en la matière. Il se réalise à travers l’étude de la sociologie, de l’urbanisme, de la philosophie, de l’histoire de l’art et des lettres.
Au cours de sa quatrième année il apprend par hasard qu’une inscription dans la célèbre institution londonienne l’Architectural Association est possible. La seule place disponible revient à sa petite amie de l’époque. Farid Azib intègre de son côté l’école de Portsmouth mais passe ses journées, de façon « clandestine », à L’Architectural Association. C’est le plus ancien établissement d’architecture indépendant au Royaume-Uni. Il attire des étudiants de plus de cinquante pays et offre des cours spécialisés dans le paysagisme, le logement urbain, l’énergie et l’environnement, l’histoire et la théorie, les études en design… Parmi ses anciens élèves on compte des noms aussi célèbres que Zaha Hadid, Rem Koolhaas ou encore Richard Rogers. En fréquentant les lieux et ses maîtres en architecture, Farid Azib se fait repérer et connaît la chance inespérée de pouvoir l’intégrer officiellement. Cette formation ouvre des perspectives nouvelles pour sa création personnelle. Concevoir cette discipline comme une exploration originale et sensible le fascine :
« ce fut une révélation, j’ai plongé durant cette année de post graduate dans un monde de recherches incroyables, pénétré par des enseignements déterminants, comme ceux dispensés par hugo hinsley, jorge fiori et, surtout, par mon tuteur takeo muraji – dont la conception toute orientale de l’espace est basée sur l’intuitif, le corporel, le sensoriel, le mouvement et la perception du temps. j’ai appris le sens de la mesure, de l’humilité, et les écueils des postures. »
De retour en France il soutient son diplôme, fort de ses nouvelles méthodes, mais le temps n’est pas encore venu de les mettre en application, sa situation personnelle et familiale, toujours précaire, exige de la stabilité. Après un bref passage chez CR architecture et diverses missions, il rentre en 2000 dans l’agence d’Alain Derbesse, jouissant d’une certaine latitude d’action pour des projets d’importance. En gardant un statut d’électron libre, il fait ses armes durant sept ans dans un univers de donneurs d’ordres, tout en continuant à réaliser à Londres des projets plus modestes. Las d’évoluer dans un milieu qui ne répond pas à ses aspirations profondes, en quête d’indépendance